Souvenir caché

J'entre en trombes dans la salle des profs, je suis en retard... Encore. Décidément, la ponctualité n'est vraiment pas mon fort. J'ai cours dans moins de dix minutes avec mes secondes, cela m'enchante comme d'aller me jeter dans le lac, et pas foutue de retrouver mes notes... Non pas que cela soit incontrounable, mais j'ai besoin d'un minimum pour pouvoir gribouiller...

Un à un je démonte les piles des divers ouvrages que j'entrepose ici. Je sais que cela les fait tous rire, la série de livres dont j'ai besoin pour me sentir bien. Qu'est-ce que j'y peux... Remarque, à force d'enfouir mes notes dans mes livres, je vais finir par perdre la tête. Une demie-heure pour retrouver une liste de course, ce n'est pas sérieux.

Ah, ca y est, je vois ma liasse de notes, des idée de scènettes à improviser, dépasser d'entre deux livres. Sans faire attention, je tire dessus, et vais pour sortir lorsque j'entend ma pile de livres s'effondrer lamentablement sur le sol.

- Parfait...

Je me fais violence, expose brièvement le projet aux secondes, et transforme cet exercice en atelier libre... Ils ont les deux heures pour préparer quelque chose... je viendrais observer leur travail à la fin. Certes, ce sont que des lycéens, mais s'ils ne peuvent pas apprendre à travailler par eux-même, ils n'ont rien à faire ici...

De retour dans le bureau, je remet de l'odre dans les livres, par ordre alphabétique autant que faire ce peut. Lorsque mes mains se posent sur Ashes to Ashes, elles commencent à trembler. Ashes to Ashes... Cendre to redeviendra cendre... C'était tout ce que m'évoquait cette pièce... le goût de la cendre. Une pointe de papier dépasse, je tire dessus. Erreur.

- Pardonne moi. D. -

Je pénètre dans la salle des profs après un cours fabuleux avec les premières. Laurent m'a encore fait une oeuvre digne du chef d'oeuvre. La consigne: autoportrait abstrait. Le mélange de couleurs, de formes, les lunettes bien apparentes, impossible de dire autre chose que "c'est laurent". Il est incroyable ce gamin!!! Les autres s'en sont sortis de façon tout à fait acceptable mais pas aussi bien. Je suis heureux, j'ai de bons éléments dans mes classes, et surtout en première et terminale. Je vois Robin dans la salle et la salue chaleureusement:

-Robin, comment vas-tu? Ca fait un certain temps qu'on n'a pas eu deux minutes pour discuter! Alors, tes projets d'année? Et tes élèves, les secondes? Convaincants? Aussi bons que ce qu'ils promettaient en juin, lors des sélections?

*Je sors d'un cours de premières années. Pas trop mal, bon début, mais pas non plus génial. Ces gamins se croient encore au conservatoire pour la plupart. Ce qui est normal, ils sont tous comme ça au début. Je rentre dans la salle des profs, un peu encombré, j'ai la housse de mon violon à la main, un sac à dos sur l'épaule droite et un autre sur l'épaule gauche: je croule sous les partitions...*

- Salut tout le monde!

Je salue Klaatu avec bonne humeur:

-Salut mon vieux, alors, les nouvelles du front?

La salle des profs, en vacances, ça manque. C'est un lieu tellement unique, d'échange, de partage, de joie, de rire, de consolation, ... Bref, un paradis!

- La seule chose qui me vient, c'est: c'est pas gagné!

*Je soupire avec un demi sourire*

- Je n'ai pas le futur Beethoven pour le moment chez les premières années. mais bon, tout ça se débloquera surement au fur et à mesure, comme chaque fois. Pour le moment je ne vois qu'une bande de collégiens qui ont oublié de grandir, qui bossent tu vois, mais un peu en dépis du bon sens. Ils ne sont pas assez musiciens encore. Et toi alors? Tes petits prodiges?

Je viens d'avoir les terminales et retourne à la salle des professeurs, étant donné que désormais, j'ai une heure de libre. Je vais en profiter pour me remettre d'aplomb pour l'heure suivante, je pense en avoir réellement besoin. Je vois Klaatu et Michel en pleine conversation, et je quelque chose me dit qu'il parle de la rentrée. Je m'approche d'eux et dis.

- Salut vous deux. Vous avez déjà eu votre premier cours ?

Je salue Bruce, heureux de le voir:

-Eh ouais, mon vieux! Et on se disait que nos secondes étaient des troisièmes qui avaient tout oublié pendant les vacances! Moi non plus, je n'ai pas de futur Picasso... Un Plantu, à la limite, mais ça s'arrête là pour l'instant. Enfin, ne désespérons pas, ils se réveillent en première généralement. C'est là qu'ils prennent conscience de ce que c'est, un artiste. Et toi alors, Bruce, de futurs Spielberg ou Julia Roberts?

J'adore ça, dans le métier de prof: les papotages de la salle des profs. C'est toujours un moment exceptionnel. L'échange dans son plus pur développement.

- Les secondes sont souvent des collégiens jusque janvier de toutes facons. Tu sais, je viens de voir les terminales, et je ne sais pas quoi penser de ce premier cours, à croire qu'ils ont tout oublier pendant les vacances. Tout ce que je sais, c'est que pendant les vacances ils n'ont rien fait, et surtout qu'ils ont oublié toutes les bases. On s'est occupé de ce qui est production et j'avais l'impression de faire un cours de seconde. Bref, c'était assez déprimant, ils ont intérêt à sortir assez vite de leur vacances.

- Moi c'est avec les secondes que je m'arrache les cheveux. Les premières sont vraiment ceux qui me paraissent les plus intéressants niveau art. Mais il est vrai que la phase décisive, c'est la terminale, c'est là qu'on voit s'ils vont tenir toutes leurs promesses ou si on s'est trompé sur eux. Certains ne dépassent pas le plafond... Les terminales te donnent du fil à retordre? Tu leur as fait faire quoi ce matin? Un court métrage?

Je souris: le problème des vacances, c'est vrai, c'est mortel et déprimant à souhait. Mais ça revient vite en général. C'est surtout pour ce que ça veut dire: l'art devrait être leur passion, il devrait s'y adonner même en vacances. Surtout en vacances.

-Moi, ce sont les terminales qui sont les plus réceptives. Ils ont compris que leur art leur appartenait à eux, que ce n'était pas une matière d'école. Alors il ont peint pendant l'été. Certains m'ont même ramené leurs esquisses, leurs toiles aussi pour que je vois. J'étais bluffé. Mais oui, Bruce, dis-nous, tu as recommencé par quoi?

Je relève la tête, tirée de ma rêverie, réalisant que la conversation a déjà commencé au tour de moi. Secondes, premières, terminales, le sujet du jour sont nos classes... Pas étonnant qu'il n'y ai pas de prodiges immédiatement. Le talent doit souvent se murir, se travailler, même si c'est toujours formidable de trouver des génis dans sa classe. Mais bien souvent, il n'y a qu'un seul Thoreau et un Whitman dans la vie d'un Emerson...

- J'aurais bien aimé pouvoir aller jusque là, mais non, j'ai du leur ré-apprendre ce qu'était un plan américain, ce que j'apprends dès la seconde. Habituellement, je peux commencer rapidement le travail mais là, il n'y avait rien à faire. Je vais donc commencer l'année par les scénarios, le temps qu'ils se replongent un peu dans leurs études.

- Tu m'étonnes *je gromêle* Ils ne se rendent pas compte je crois, qu'ils perdent du temps et le notre avec... S'ils ne sont pas là pour bosser, au moins essayer, ça ne sert pas à grand chose... Mais bon, ils ne sont pas tous comme ça, ça dépend des années et des gens. Personnellement je rêve d'un violoniste qui n'arrache pas des cris écorchés à son violon...

*Je repense à Charlie qui m'a assassiné sur un morceau certes assez difficile, mais tout de même...*

- Personnellement, ce que je trouve le plus énervant, c'est quand ce manque de travail s'accompagne d'un orgeuil mal placé... Et du côté des comédiens, j'en ai un paquet... Pas plus tard qu'hier, j'ai demandé à mes terminales de venir parler aux secondes pour les rassurer. Heureusemetn que j'ai des élèves pour relever le niveau, parce que l'archétype de l'acteur hautain à pris racines dans ma classe... Encore, venant de quelqu'un de de talentueux, j'aurais pu comprendre, sans accepter, mais comprendre... Et là c'était loin d'être le cas. Alors mélangez cela avec un banc de secondes surexités, remplis d'illusions, de craintes et d'apréhensions...

Le résultat avait été plutôt catastrophique... Je ne suis vraiment bonne à rien depuis que je suis revenue. Alors qu'une sélection judicieuse aurait pu m'éviter tellement de contrariétés! Satané David, c'était de sa faute... Ok, je me trouve des excuses, mais je suis certaine que si on cherche bien, il y est pour quelque chose.

Je ris et dis:

-Moi, s'il y a un truc que j'évite, c'est les rencontres secondes /terminales. Un, ça leur met le moral à 0 et deux, c'est vite le bordel. Ils se prennent pour des génies et les autres paniquent. Bref, j'évite, chacun dans son coin et le prof a la paix! Bon, avec certains terminales, je pourrais essayer, mais ce sont les meilleurs qui sont les plus modestes, alors le résultat sur le moral des secondes... Bref, c'est le genre de trucs que je ne fais jamais, même si je suis d'accord que ça peut être profitable surtout en théâtre parce que c'est un art où la communication est essentielle! Allez, ne te jette pas la pierre, si les gamins sont prétentieux, c'est loin d'être de ta faute!

Je laisse ma tête retomber molement sur ma poitrine par abatement, et exagération; puis relêve aussitôt la tête avec piteux sourire sur le visage.

- Là dessus, s'il y a une chose que j'ai appris, c'est de ne plus jamais suivre à l'aveuglette mes idées qui semblent géniales a priori... surtout sans laisser à mon cerveau le droit à la parole.

Puis, repensant quelques instants à ce que je viens de dire, je me reperent aussitôt.

- Non, cherchez pas, ce genre de bourdes, je crois que je les ferais jusqu'à la fin de ma carrière, surtout en début d'année... Par contre, le prochain coup, j'essaierais de demander votre avis... pour éviter de courir à la catastrophe...

L'apel à un ami... Ca c'est une valeur sûre! Si seulement ça pouvait aussi marche en amour...

- Ah mais ne t'en fais pas, on n'est pas mieux lotis que toi! Tu sais, des fois les gens paraissent talentueux à l'audition, on se dit qu'il va donner quelque chose et puis en fait ça retombe aussi sec... C'est la grande injustice d'une sélection en une seule journée, malheureusement nous ne pouvons faire autrement. La bonne nouvelle c'est qu'on peut les virer lors de la première année! Ne te fustige pas pour les grosses têtes des élèves, ils apprendront vite que même les meilleurs prennent des claques...

*Je me demande pourquoi elle est si déprimée cette année... Après tout, ce genre d'erreurs de casting, on en fait tous tout le temps et ça n'a pas d'importance: mieux vaut surestimer un talent que de le sous estimer!*

- Allez, il faut regarder les nouveaux jours arriver dans l'espoir qu'ils retourne vite les deux bien sur terre, mais l'idée était bonne, le problème n'est pas ton idée mais les élèves, ils ne sont certes pas tous catastrophiques mais les rentrées sont toujours médiocre, je me rappelle de celle de l'an dernier, et c'était encore pire, j'avais été obligé de leur faire une interro pour pouvoir les faire travailler, une interro, le premier jour, jamais je n'avais fait ca auparavant.

Les rentrées sont toujours très prise de tête, mais ces trois dernières années, il fallait s'accrocher encore plus que d'habitude.

- Je n'ai pas encore eu les secondes, j'ai plutôt hâte de les voir pour être honnête.